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Invariant n°9 de Célestin Freinet

Il nous faut motiver le travail.

Dans un de mes Dits de Mathieu (Les Dits de Mathieu par C. FREINET : I vol. aux Ed. Delachaux et Niestlé, Paris.) j’ai donné un exemple que je crois devoir reproduire ici de la différence foncière qu’il y a entre le travail de soldat, sans motivation et sans but, auquel on ne donne que le strict minimum de son activité, juste assez pour éviter les sanctions, et le travail puissamment motivé, intégré à l’être dans son milieu, que nous disons Travail de fiancé.

LE TRAVAIL QUI ILLUMINE

Eh oui ! Il existe certes des bêches et des charrues, et des outils mécaniques autrement perfectionnés qui vous remuent le sol et vous sèment les graines sans que vous ayez à vous mesurer avec l’aridité de la glèbe. Mais j’aime, moi, quand je prépare un semis, tamiser la terre de mes mains et trier amoureusement les pierres, comme l’on adoucit le lit douillet d’un bébé. C’est ainsi ; un travail même peut être corvée ou libération. Ce n’est pas une question de nouveauté mais d’illumination et de fécondité.

Vous connaissez l’histoire des « pluches » au régiment ? Il y a un art – dont l’Ecole a fait une tradition – pour opérer le plus lentement possible, sans cependant s’arrêter de travailler. C’est du stakhanovisme à l’envers. Et quand il s’agit de prendre le balai pour débarrasser les pluches, c’est pire encore : tous les hommes sont manchots. C’est parfois le caporal lui-même qui doit s’appuyer la corvée. Le soldat part en permission voir sa jeune femme. Faire la soupe, éplucher les pommes de terre, balayer même, tout cela devient un plaisir dont il réclame le privilège.

La corvée du matin est devenue une récompense !

Il en est de même à l’école, où certains travaux usés par la tradition seront, demain, recherchés à l’égal d’activités nouvelles que vous croyiez exclusives. Ne cherchez pas la nouveauté ; la mécanique la plus perfectionnée lasse elle-même si elle ne sert pas les besoins profonds de l’individu. Dans le lot toujours croissant des activités qu’on vous offre, choisissez d’abord celles qui illuminent votre vie, celles qui donnent soif de croissance et de connaissances, celles qui font briller le soleil. Editez un journal pour pratiquer la correspondance, recueillez et classez des documents, organisez l’expérience tâtonnée qui sera la première étape de la culture scientifique. Laissez les jeunes fleurs s’épanouir, même si les mouille parfois la rosée.

Tout le reste vous sera donné par surcroît.

Ce que nous avons apporté de nouveau à la pédagogie, c’est cette possibilité technique de faire effectivement dans nos classes du travail vivant, du travail de fiancé.

Lorsque l’enfant écrit avec plaisir un texte libre pour son journal ou ses correspondants, feu vert.

Lorsqu’il écrit une lettre à son correspondant, feu vert.

Lorsqu’il imprime, lorsqu’il dessine et peint, lorsqu’il fait des expériences ou prépare des conférences, feu vert.

Les enfants comprendront vite quelles sont les activités motivées et celles qui ne sont là qu’en fonction de l’Ecole.

Test :

Activités motivées auxquelles les enfants se donnent totalement. VERT

Activités mitigées qu’on essaie d’influencer par un nouvel esprit. ORANGE

Travail ordinaire. ROUGE

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Motivez vos élèves en fixant des objectifs d’apprentissage

Le numérique, intrinsèquement motivant?

Dans Apprendre avec le numérique, mythes et réalités (Tricot & Amadieu, 2014), les auteurs déconstruisent le mythe d’un numérique qui systématiquement motive les apprentissages. Ils rappellent que la motivation ne peut s’analyser de manière isolée, sans lien avec ce sur quoi elle porte. Les élèves sont-ils plus investis dans la tâche parce qu’elle comporte une dimension numérique? La tâche elle-même est-elle plus motivante quand elle mobilise des tablettes? Le numérique amplifie-t-il le désir d’apprendre? Autant de questions traitées pour un résultat très nuancé: technologie, motivation et performance n’ont pas de lien étroit. (Ibid.)

Ce constat nous ramène vers l’invariant n°9 de Célestin Freinet: il nous faut motiver le travail (numérique ou non) dans le sens ou le la motivation résulte elle-même d’un travail à mener avec les élèves pour qu’ils développent un rapport motivationnel avec les apprentissages (numériques ou non). De ce point de vue, il nous parait intéressant de créer un lien entre les prescrits de Freinet et la notion de motivation autodéterminée et d’en envisager les contours dans un environnement numérique.

Les caractéristiques de la motivation autodéterminée

Dans son texte, Freinet évoque trois éléments qui nous semblent entrer en dialogue avec les caractéristiques principales de la motivation autodéterminée (Deci & Ryan, 2002 ). Selon cette notion, en contexte scolaire, les élèves font preuve d’une motivation autodéterminée quand ils démontrent trois formes distinctes d’engagement :

« ils s’engagent dans les tâches ou les matières scolaires pour des raisons intrinsèques à celle-ci, que ce soit pour le plaisir qu’ils ressentent en la pratiquant, pour le sentiment de maîtrise qu’ils en retirent, ou pour la satisfaction d’apprendre quelque chose de nouveau ;

– quand ils s’engagent dans les activités scolaires parce qu’ils les considèrent comme quelque chose de cohérent avec leurs valeurs et besoins ;

– quand ils s’engagent dans des tâches scolaires qu’ils jugent importantes pour atteindre des buts personnels. ».

La motivation Freinet rencontre la motivation autodéterminée

Freinet évoque, dans le texte de l’invariant, trois éléments qui entrent en résonance étroite avec ces trois engagements. La soif de connaissance rencontre cette idée de vouloir apprendre quelque chose de neuf. Les besoins profonds de l’individu font écho à cette cohérence mentionnée entre le travail scolaire et les valeurs et besoins de l’élève. La transformation évoquée par Freinet entre la corvée et le travail du fiancé s’inscrit dans cette idée qu’un but personnel transforme la perception que l’on peut avoir d’un travail et génère dès lors une motivation réelle.

Comment construire la motivation (autodéterminée) des élèves ?

Sur quels éléments un enseignant peut-il s’appuyer pour construire cette motivation (autodéterminée) dans la classe quand il s’agit de travailler le numérique en classe ?

Selon la théorie, trois facteurs sociaux sont associés à cette question.

Des compétences ciblées

Le premier facteur est le besoin de compétences de l’élève « qui recherche et persiste dans une tâche dont la difficulté est adaptée à ses capacités, et quand il démontre de l’intérêt pour tester, s’informer sur, développer, étendre, évaluer ses capacités, habiletés et ressources (Ibid.). »

En contexte numérique, cela demande à l’enseignant d’être en capacité d’identifier différentes compétences numériques atteignables pour les élèves, selon leur âge ou degré de formation. La question n’est donc pas de savoir si l’enseignant maitrise toutes les compétences numériques mais plutôt de savoir s’il en a connaissance, s’il peut les identifier et les associer éventuellement à des activités potentiellement réalisables par les élèves. Ce n’est pas toujours évident quand on sait que la majeure partie des enseignants (Freinet ou non) sont très peu formés au numérique et ne disposent donc pas, a priori, de ce curriculum de compétences.

Promouvoir l’autonomie

Le second facteur est l’autonomie de l’élève. « Le comportement d’un élève est alors autonome ou autodéterminé lorsqu’il est en adéquation avec ses propres ressources, ses centres d’intérêt et  ses valeurs. Dans ce cas, il perçoit un locus interne de causalité, ressent un sentiment élevé de liberté, une faible pression et perçoit qu’il a le choix de s’engager ou de ne pas s’engager dans une action donnée». (1)

L’élève a donc besoin d’être autonome au niveau du choix des pratiques numériques à mener ce qui induit, inévitablement, pour l’enseignant, de ne pas en imposer une ou plusieurs d’autorité. Or, dans le domaine du numérique, l’enseignant n’est pas nécessairement un expert, dans le sens où les compétences numériques ne sont actuellement pas un préalable à une activité d’enseignement. De facto, l’enseignant risque de se tourner spontanément vers des pratiques dont il maitrise déjà plusieurs aspects ou des pratiques apprises dans le cadre de formations complémentaires. Par ailleurs, les centres d’intérêt des élèves dans le domaine du numérique peuvent considérablement différer des préoccupations de certains enseignants même si certains usages domestiques prédominants (comme les réseaux sociaux ou la navigation web) tissent un lien entre ces deux générations. Toujours est-il que le fossé entre enseignants analogiques et élèves digitaux existe et induit une difficulté pour choisir une pratique au diapason des centres d’intérêt de chacun.

Travailler au cœur d’une communauté

Le troisième facteur est la proximité sociale, qui est le besoin de se sentir connecté avec d’autres personnes de son environnement social, d’accorder et/ou de recevoir de l’attention de la part de personnes significatives pour soi, et d’appartenir à une communauté ou un groupe social (Baumeister & Leary, 1995 ; Deci & Ryan, 1991). Le besoin de proximité sociale pousse l’élève à entrer dans une relation authentique avec les personnes par lesquelles il se sent concerné et qu’il respecte (Reeve, Deci & Ryan, 2004).

Un ensemble de techniques Freinet organisent un environnement de travail qui relève de cette responsabilisation de l’élève et l’amène à entretenir du lien avec ses condisciples. De manière plus générale, le travail s’organise en pédagogie Freinet au cœur d’une communauté vivante qui vise précisément le développement de connexions sociales entre les membres et l’affirmation de la singularité de chaque acteur de la communauté. Par conséquent, il convient alors, pour l’enseignant, de favoriser le développement de ce type d’organisation du travail pour asseoir des liens sociaux qui développent et maintiennent la motivation des acteurs du groupe social.

Conclusion

On observe une grande proximité entre la notion de motivation autodéterminée et le type de motivation désirée par Freinet. Dans le cadre d’une approche Freinet du numérique, il revient donc à l’enseignant de construire cette motivation avec ses élèves et de ne pas considérer que l’intégration des outils en classe, à elle seule, suffira à développer durablement cette motivation en classe.

Pour aller plus loin

La lecture du livre Apprendre avec le numérique, mythes et réalités de Tricot et Amadieu est très instructive pour déconstruire ses propres représentations à l’égard de plusieurs lieux communs généralement associés au numérique éducatif. Les références sont proposées ci-dessous et si vous ne pouvez pas vous procurer le livre, l’article en ligne référencé est une bonne entrée en matière.

 

Franck Amadieu et André Tricot. (2014)  Apprendre avec le numérique. Mythes et réalités, Retz, ISBN 978-2-7256-3320-6

Apprendre avec le numérique ? (s. d.). Consulté 28 septembre 2022, à l’adresse http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/pages/2014/10/21102014article635494737667005194.aspx

Deci, E. L. et Ryan, R. M. (2002). Handbook of Self-Determination Research. Rochester: University of Rochester Press.

(1) La théorie de l’autodétemination (TAD) : Un autre regard sur le climat motivationnel (Sarrazin, Tessier, Trouilloud, 2006)—Bloc notes de Jean Heutte : Sérendipité, phronèsis et ataraxie sont les trois mamelles qui nourrissent l’Épicurien de la connaissance ;-). (s. d.). Consulté 28 septembre 2022, à l’adresse http://jean.heutte.free.fr/spip.php?article96

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